Château Grézan Jean-Louis et Fabien Pujol

Vous représentez la cinquième génération d’une famille de vignerons faugérois passionnés : la famille Cros-Pujol. Devenir vigneron : « tel était votre destin » ?

(Rires) Manifestement ! Pour être honnête, je ne sais pas vraiment si j’en ai toujours rêvé, mais il est certain que j’ai baigné dans le monde viticole depuis le berceau. Enfant, j’étais ravi de « conduire » le tracteur sur les genoux de mon grand-père, plus tard de pouvoir participer aux vendanges. J’étais même souvent déçu car elles commençaient bien plus tardivement qu’aujourd’hui et je devais retourner à l’école ! Mais j’ai aussi été porté par une irrésistible envie d’ailleurs…

Avant de prendre la suite de votre père au Château Grézan, vous sillonnez d’ailleurs le « nouveau monde » du vin pendant plus de dix ans. Que vous a apporté cette expérience ?

Beaucoup d’ouverture d’esprit et un énorme enrichissement intellectuel évidemment ! Des USA à l’Argentine en passant par le Chili et l’Australie, j’ai découvert une grande diversité de façons d’appréhender le métier de vigneron. Partout, les vignerons inventent et s’adaptent d’abord à leur terroir, mais aussi à des marchés. C’est la base du métier. Le large éventail de pratiques, de positionnements et de solutions que j’ai pu observer me nourrit encore aujourd’hui.

Mais, en 2009, vous vous êtes senti rappelé par le Faugérois…

C’est dans la nature humaine : on a souvent envie de revenir au nid ! Je me sens profondément – et peut-être avant tout – Languedocien : la diversité de territoires, dont beaucoup sont magnifiques, est extraordinaire sur ce vignoble ! Mes racines sont ici, dans l’histoire construite par mes ancêtres, dans les vignes du Languedoc et en particulier en Faugères. Mon grand-père et mon père ont d’ailleurs beaucoup œuvré aux côtés du collectif de vignerons qui a fini par obtenir la reconnaissance de l’AOP en 1982, puis la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui.  

Qu’est-ce qui fait que Faugères est Faugères justement ?

L’homogénéité de ses sols de schistes la rend unique en Languedoc bien sûr. Mais notre plus grande chance se trouve peut-être dans les variations d’altitude et la grande amplitude thermique qui en découle. Cela permet au vigneron de composer avec les différences constatées à la vendange et d’élaborer des profils de vins complémentaires. Les vignes sont également baignées de soleil et d’effluves de garrigue aux essences exceptionnelles. Charge à nous de les mettre en valeur car ce n’est pas anodin et ça contribue à l’identité de ses vins. Je pense par exemple qu’il faut n’utiliser l’élevage en barriques qu’avec parcimonie. Il y a ce que les Faugères ont été ou sont encore et qui est hérité de l’époque où le Languedoc luttait pour se faire une place entre Bordeaux et la Bourgogne ; et puis il y a ce qu’ils peuvent être… Il nous faut désormais nous décomplexer, assumer les spécificités de notre terroir, les mettre en valeur dans tout ce qu’elles font de beau et de bon !

Alors, au Château Grézan, comment vous y prenez-vous pour mettre le terroir en bouteille ?

Il s’agit de chercher une certaine forme de simplicité qui, loin de signifier « absence de complexité », a au contraire vocation à mettre en valeur la complexité naturelle du terroir. Alors, on se questionne beaucoup et on expérimente en permanence pour tenter d’y réussir toujours mieux ! Une partie de nos vins est toujours élevée en barriques car cela peut en effet permettre de mettre le terroir en valeur, si l’on choisit bien le type de bois par exemple. On a même une cuvée Les Schistes Dorés qui est carrément vinifiée en demi-muids ! Mais depuis 2013, on a beaucoup recours aux amphores modernes qui permettent un élevage neutre, des touchers de bouche et des concentrations bien maîtrisés. En 2019, on a créé un nouvel atelier « vinification en amphore » : avec différents cépages, en vendange entière ou égrappée, avec des levures indigènes, sans ajout de soufre jusqu’à la mise en bouteille… Mais nos essais sont encore trop récents pour qu’on puisse en tirer des conclusions. 

Quelle incidence cette recherche a-t-elle sur votre façon de travailler à la vigne ?

Je contrôle avec précision la concurrence que l’herbe peut faire à la vigne. Mon objectif est en effet de garantir la vigueur de mes vignes et l’importance de leur surface foliaire en limitant au maximum le stress hydrique. Les sols peu fertiles de Faugères et les effets du changement climatique y contribuent déjà assez largement ! Or je cherche à préserver la fraîcheur qui garantit la buvabilité des vins-plaisirs que je cherche à élaborer.

Le changement climatique est donc un sujet qui vous taraude ?

Bien sûr. Comme tous les vignerons du pourtour méditerranéen : nous devons relever le défi de cette recherche de fraîcheur, tout en préservant la nature qui constitue une large part du terroir. Cette fraîcheur est d’ailleurs toujours plus attendue par le marché, au moment même où les fortes chaleurs deviennent la norme. La précocité des dates de vendanges est toujours plus édifiante. Le Portugal a beaucoup avancé sur le sujet : le partage d’expériences va être une voie incontournable. 

Vous avez donc également mis en place des ateliers d’expérimentation côté vignoble ?

Absolument. J’ai un projet de plantation de cépages résistants – à la chaleur comme aux maladies - sur la partie de mon vignoble qui se situe en plaine, hors AOP Faugères. Je pense qu’il faut également travailler avec des cépages historiquement autochtones tant parce qu’ils sont mieux adaptés, que parce qu’ils participent de l’identité languedocienne. Le Carignan par exemple est emblématique de Faugères.

Le Château Grézan est également certifié Haute Valeur Environnementale…

Notre engagement en Terra Vitis à l’origine fait partie de l’ADN-Grézan. La HVE est très intéressante car elle implique pour le domaine d’être vertueux à différents niveaux et dans la globalité de ses pratiques. Elle a été pensée pour préserver la planète dont fait partie l’humain et incite en même temps au biocontrôle et à la limitation de l’utilisation des produits de protection au strict nécessaire. Nous avons d’ailleurs recours à la confusion sexuelle, aux écorces d’orange. La bio, elle, à l’origine, a été imaginée pour préserver l’humain d’abord : elle certifie un produit élaboré sans recours à la chimie de synthèse mais ne certifie en rien le fait que biodiversité, gestion de l’énergie et des déchets soient pris en compte.

Mais en 2020, vous allez expérimenter la bio à votre tour…

En effet. Sur treize hectares. Cela va nous permettre d’élargir notre gamme de vins, mais aussi de nous confronter à une autre méthode culturale et de voir l’impact que cela a sur les vins. Aujourd’hui, j’ai vraiment envie de transmettre ce que j’ai construit à mes enfants, alors il est important pour moi d’explorer toutes les voies qui peuvent garantir la pérennité de ce patrimoine centenaire. 

INTERVIEW « ÇA, C’EST VRAIMENT TOI, FABIEN ! » 

Si tu étais un végétal du vignoble ? Un ciste blanc

Le vin c’est plus qu’une boisson, c’est ? Du plaisir !

Un vin de confrère faugérois à conseiller ? Celles du Domaine Ollier-Taillefer ou du Château des Estanilles !

Ce qui te met des étoiles dans les yeux ? Construire et… faire plaisir !

Ce qui te fait enrager ? L’autosatisfaction

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